Vers une stratégie de santé globale ?

Une tendance forte qui peine à tracer sa route faute d'ambition politique suffisante


Le concept de « Une seule santé » ou One Health, visant à équilibrer la santé humaine, animale et environnementale, peine à se concrétiser en politique publique. Il appartient aux organisations professionnelles de travailler ensemble pour sortir d’une approche en silo, en créant une alliance chargée d’élaborer des solutions novatrices.


Initié en 2004 lors d’un colloque, « One World One Health », organisé par la Wildlife Conservation Society et l’université Rockefeller, le concept a connu des périodes d’indifférence avant de ressurgir avec la pandémie de Covid-19.

Des propositions politiques en faveur de « Une seule santé » ont été avancées, notamment par Loïc Dombreval, ancien député Renaissance, désormais président du Conseil National de la Protection Animale. En 2020, ce vétérinaire a déposé une proposition de résolution « invitant le gouvernement à agir en faveur d’une plus forte coopération internationale pour la mise en œuvre du concept décloisonné et transdisciplinaire d’Une seule santé“.

L’approche « One Health » est, en effet, préconisée par les institutions internationales. L’organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture estime qu’elle est indispensable pour mieux anticiper, prévenir, détecter et contrôler les maladies zoonotiques[1], et combattre la résistance aux antimicrobiens.

En 2018, un protocole d’accord a d’ailleurs été conclu entre l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation mondiale de la santé animale et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture afin de renforcer leur coopération dans la prévention des risques sanitaires futurs. En 2022, le Programme des Nations unies pour l’environnement a rejoint cette alliance.

Au niveau européen, le sujet progresse… En février 2024, l’Union européenne a adopté une stratégie de santé sanitaire globale ambitieuse en affichant sa volonté de devenir un partenaire majeur de la santé mondiale. L’Europe a exprimé à cette occasion son intention de « prévenir et combattre les menaces pour la santé, pandémies comprises, en suivant une approche fondée sur le principe « Une seule santé ».

Néanmoins, la complexité du principe et les luttes d’influence entravent la mise en œuvre de la démarche. En France, son application reste limitée dans le quatrième plan national santé-environnement[2]. Malgré des desseins louables, les structures en place, notamment le groupe santé environnement, ont du mal à passer des intentions à l’action.

Des experts estiment pourtant que cette approche pourrait prévenir les pandémies en traitant de manière intégrée la santé des humains, des animaux et de l’environnement. Effectivement, selon les informations publiées en octobre 2020 par la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes), il existerait 1,7 million de virus non découverts dans les organismes des mammifères et des oiseaux, parmi lesquels 827 000 pourraient avoir la capacité d’infecter les humains.

L’Agence Française de Développement souligne de son côté que sur les cinq nouvelles maladies humaines qui apparaissent en moyenne chaque année, trois ont une origine animale.

Conséquemment, certains prônent une évolution de la législation pour concrétiser l’approche « Une seule santé », soulignant que des modifications réglementaires pourraient être nécessaires. C’est notamment le cas de l’Alliance Santé Biodiversité, qui a soumis un cahier de recommandations aux ministres concernés en 2021, puis rédigé un projet de loi transmis au Président de la République en 2022. Est mise en avant la nécessité de promouvoir l’interdisciplinarité ainsi que l’interministérialité dans la mise en œuvre de cette démarche. En outre, dans son rapport du 8 février 2022, le Conseil scientifique Covid-19 recommandait également de créer une plateforme interministérielle One Health ou une gouvernance interministérielle de haut niveau, intégrant diverses expertises scientifiques.

Une récente proposition de loi présentée par Jean-Carles Grelier invite la France à “inscrire sa réflexion en santé dans un cadre pluriannuel, polyvalent, interdisciplinaire et global“. L’ancien député Renaissance y souligne : “Ce retour à la prise en charge globale de la personne passe par la prise en considération de son environnement au sens large (logement, eau, air, conditions de travail…), quand 80 % des maladies infectieuses de l’homme sont d’origine animale ; que le lien entre exposition à la pollution atmosphérique et schizophrénie est médicalement démontré ; que les personnes souffrant d’affection de longue durée (ALD) représentent un tiers des malades et deux tiers de la dépense d’assurance maladie ; qu’un français sur trois aura, au cours de sa vie, à subir un trouble psychiatrique ou un cancer ; que le nombre de diabétiques soignés augmente de 3 à 4 % par an depuis vingt ans pour concerner 5,3 % de la population en 2019, soit 3,5 millions de personnes, dont plus d’un million qui s’ignorent. Et tout cela sans même parler de la part des Français atteints d’obésité qui était déjà de 5,3 % en 1981 et a plus que triplé en 40 ans pour atteindre 17 % en 2023.”

Ainsi, malgré la nécessité de l’approche One Health et la survenue de pandémies de grande ampleur comme la COVID-19, les moyens restent à déployer. À titre d’illustration, la Commission des affaires sociales du Sénat a exprimé des préoccupations dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2024, soulignant une fois de plus la négligence de la prévention et l’insuffisance du budget alloué à cet effet.

Le budget total accordé à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l’offre de soins ne représente que 6 % des dépenses du ministère de la Santé. Parmi ces 6 %, seulement 14 % sont destinés à la prévention des risques liés à l’environnement et à l’alimentation, soit 1 % du budget total de la santé.

Il est pourtant crucial de prendre des mesures fortes et de prévoir des évolutions significatives aux niveaux réglementaire et institutionnel, telle qu’une réelle stratégie interministérielle du One Health. Un changement de paradigme semble indispensable pour aborder de manière exhaustive les questions de santé, en tenant compte de l’interconnexion entre l’environnement, la santé humaine et la santé animale. De plus, une prévention efficace pourrait offrir de nombreux avantages, y compris une réduction des dépenses de santé. Il est donc essentiel de ne pas se détourner de ces problématiques en raison des difficultés de mise en œuvre actuelles et de provoquer des changements dès maintenant.

Aujourd’hui, pour avancer, les acteurs concernés doivent élargir leur champ de réflexion, apprendre à travailler ensemble et élaborer des solutions. C’est en créant une alliance qu’ils pourront faire évoluer les politiques publiques afin d’assurer au plus grand nombre “un état de complet de bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité“, conformément à la définition proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé.

Nicole Tortello Duban et Annabelle Farcy-Caron


[1] Maladies transmissibles aux humains par des animaux ou des insectes.

[2]https://sante.gouv.fr/sante-et-environnement/les-plans-nationaux-sante-environnement/article/plan-national-sante-environnement-4-pnse-4-un-environnement-une-sante-2021-2025

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