Présidentielle 2022 : les aveugles vont-ils encore être oubliés ?

Plaidoyer pour l'accessibilité numérique

Par Nicole Tortello Duban, Fondatrice d’AleVia Conseil

Il y a dix-sept ans, l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, posait le principe de « l’accessibilité numérique ».

Aujourd’hui, cette obligation légale concerne les sites internet, intranet, extranet, les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique, mis à disposition du public par l’État, les collectivités territoriales et les grandes entreprises. Demain, l’Acte législatif européen sur l’accessibilité renforcera le dispositif.

Concrètement, les logiciels lecteurs d’écran utilisés par les personnes « empêchées de lire » (aveugles, fortement malvoyantes, dyslexiques, dyspraxiques…) doivent pouvoir retranscrire ce qui figure à l’écran, par synthèse vocale et/ou sur un afficheur braille.

Pourtant, dix-sept ans plus tard, Manuel, père de famille malvoyant, ne peut toujours pas consulter le carnet de notes de sa fille sur le site de Pronote. Laurence, mère de famille aveugle, ne peut toujours pas faire ses courses sur Auchan.fr. Joël, kiné aveugle ne peut toujours pas télétransmettre les feuilles de soins de ses patients sur Ameli Pro. Heureusement, Bernadette, célibataire malvoyante, peut depuis plusieurs années, en toute autonomie, déclarer ses revenus sur impots.gouv.fr !

En finir avec les obstacles imaginaires

Du point de vue technologique, l’accessibilité numérique ne présente aucune difficulté. En s’y prenant en amont, c’est à dire lors du développement de l’outil ou du service en ligne, il suffit de suivre les spécifications techniques du RGAA (Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité ) pour respecter la loi.

À titre d’illustration, pour qu’un site internet soit accessible aux déficients visuels, il faut, entre autres :

· structurer l’information avec différents niveaux de titres (titre 1, titre 2…)

· donner une alternative textuelle aux images

· rendre accessibles les documents bureautiques en téléchargement

· prévoir une vraie alternative aux CAPTCHA images

· employer des polices visibles et lisibles

· utiliser des couleurs bien contrastées

· ne pas véhiculer l’information uniquement par la couleur

Le résultat s’avère d’autant plus qualitatif qu’il bénéfice à tous, y compris aux voyants. En effet, un site internet bien conçu se révèle plus agréable à consulter et les moteurs de recherche, dont Google, référencent mieux ses pages. En outre, il affiche un impact environnemental moindre.

Alors que le « tout numérique » a été accéléré par la crise sanitaire, seules 15 % des 250 démarches administratives les plus utilisées par les Français respectent les normes d’accessibilité. Du côté des collectivités territoriales et des grandes entreprises, le constat n’est pas meilleur : les déficients visuels peinent à accéder à l’information.

Au quotidien, la perte de chance est immense puisqu’elle concerne l’accès à l’éducation, à la formation, à l’emploi , aux soins, à la culture, à la citoyenneté…

Stop à l’exclusion !

Pour prendre la mesure du problème, il faut souligner que le numérique a fait passer les déficients visuels du Moyen-Âge au XXIe siècle en leur permettant une ouverture sur le monde grâce à l’internet et aux courriels. Mais rapidement, la dématérialisation des formalités et des transactions commerciales s’est avérée un obstacle, à défaut d’être réalisée dans le respect du RGAA . Cela explique pourquoi l’accessibilité numérique s’impose comme l’une des dimensions les plus importantes de l’inclusion pour les deux millions d’aveugles que compte notre pays auxquels, s’ajoutent nombre de personnes en situation de handicap et les plus de 50 ans atteints d’une DMLA . Le Sécrétariat d’État chargé des personnes en situation de handicap parle de 20 millions de personnes…

Pourtant, le sujet ne figure pas à la une des journaux. La classe politique n’en fait pas un thème de campagne, les écoles labellisées par la GEN (Grande École du Numérique) ne forment pas les centaines d’auditeurs dont la France a besoin, et la French Tech ignore un marché qui fait le miel des entreprises informatiques américaines.

Oser changer de paradigme

Quatre Présidents de la République ont pu constater l’inefficacité de la loi de 2005 en matière d’accessibilité numérique. Douze gouvernements ont été saisis de l’urgence d’intervenir. Des dizaines de ministres ont eu l’opportunité de libérer le potentiel de ceux qui devraient bénéficier d’une présomption de compétence et qui subissent une double peine : celle du handicap et de l’exclusion digitale.
Alors que la France se situe piteusement au 19e rang des 27 pays de l’Union européenne en matière d’accessibilité numérique, l’association Valentin Haüy a élaboré 12 propositions opérationnelles, construites autour de cinq actions phares :

  1. Sanctionner de manière significative le défaut d’accessibilité numérique
  2. Mettre en place une autorité de contrôle et de sanction dotée de réels moyens pour agir
  3. Conditionner l’octroi des aides publiques et l’accès aux marchés publics à une démarche inclusive
  4. Abaisser le seuil du chiffre d’affaires des entreprises soumises à la loi pour mieux mobiliser les acteurs privés
  5. Développer une filière des métiers de l’accessibilité du numérique

Sur de nombreux sujets concernant la politique de l’autonomie et du handicap, le prochain quinquennat sera crucial.
Mobilisons-nous en faveur d’un numérique responsable et faisons de cette trajectoire une opportunité pour tous !

NB. Chronique rédigée pour le Cercle K2

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