Lobbying et lobbyiste
Par Alexandre Martinez, consultant en affaires publiques
« Tout fait social peut potentiellement devenir un “problème social” s’il est constitué par l’action volontariste de divers opérateurs (presse, mouvements sociaux, partis, lobbies, intellectuels…) comme une situation problématique devant être mise en débat et recevoir des réponses en termes d’action publique (budgets, réglementation, répression…). »[1]
En effet, en France, le lobbying a souvent mauvaise presse et rares sont les individus, dont c’est pourtant le métier, à se revendiquer ouvertement comme « lobbyistes ». On lui préférera des termes tels que « représentants d’intérêts », « chargé des affaires publiques » ou encore « responsable du plaidoyer ».
Mais qu’est-ce que le lobbying ? La définition, donnée par la loi[2], est assez succincte : sont des actions de lobbying toutes les activités ayant pour objet d’influer sur la décision publique en entrant en communication[3] avec des responsables publics. La définition est tout aussi brève regardant le lobbyiste : il peut s’agir d’une personne morale dont un membre exerce une telle activité comme d’une personne physique – dont, évidemment, l’activité principale est d’entrer en contact avec des responsables publics et d’influer la décision publique. Mais la réalité, comme souvent, est plus complexe que cette simple acception juridique.
Car le lobbying, en tant qu’activité professionnelle du lobbyiste, dépasse très largement le cadre proposé par la loi. En effet, l’entrée en contact avec les responsables publics ne constitue que l’aboutissement du travail mené par le représentant d’intérêts : il est utile de rencontrer un tel individu, mais il est d’autant plus utile de savoir quoi lui dire et comment le lui dire.
Avant cette dernière phase, il est donc nécessaire d’établir un diagnostic de la situation actuelle permettant de définir des axes prioritaires sur lesquels l’accent devra être mis. A cette étape d’analyse du passé et du présent succède celle de la collecte des données qui peut passer par une cartographie d’acteurs visant à identifier les individus à contacter en priorité. Vient ensuite le moment de la production de documents stratégiques explicitant les arguments à déployer – et la façon de les exposer – face aux décideurs publics, aux médias, aux citoyens. Alors, la communication et la diffusion des enjeux portés va pouvoir prendre place : il peut s’agir non seulement de mobiliser la presse ou les réseaux sociaux, mais aussi d’attirer l’attention et de rendre le sujet incontournable par la publication de tribunes, l’organisation de manifestations, etc.
C’est seulement alors que la pression autour du sujet est montée, que le problème soulevé est « mis à l’agenda »[4], qu’ont alors lieu les rencontres avec les responsables publics préalablement identifiés. Tout apparaît alors en place pour une action pouvant réussir : un argumentaire efficace comportant des éléments de langage précis, des médias et un public intéressés par la cause défendue et des décideurs sur lesquels pèsent une pression pour traiter du sujet.
« Il existe de nombreuses définitions du lobbying. Bornons-nous ici à dire qu’il consiste à influencer la décision publique au mieux de ses propres intérêts. Il s’agit de faire valoir son point de vue en amont, à des stades très précoces de l’élaboration de la réglementation. La voie à privilégier n’est pas forcément de s’adresser à la personne la plus médiatique ni la plus haut placée ; il est souvent plus efficace de convaincre le niveau pertinent, une personne de rang modeste, mais dont la force est de « tenir la plume ». Les professionnels, à force de pratique, ont mis au point de nombreux modes d’action » explique Michel Clamen[5].
Bien que cette définition soit plus complète que celle proposée par la loi, nous aimerions, en guise de conclusion, proposer une nouvelle définition faisant la synthèse des éléments évoqués ici et qui caractérisent, tous, le travail du lobbyiste :
Le lobbying est le fait d’influencer les responsables publics vers une certaine décision, en soulevant l’existence d’un problème et en désignant des solutions à celui-ci. Le lobbyiste est ainsi celui qui va interpeler les décideurs. Plus en amont, il est avant tout celui qui est responsable de la production de l’ensemble des savoirs, arguments et documents d’influence, autant d’éléments ayant pour objectif de mettre à l’agenda politique l’enjeu en question et d’orienter la décision publique dans un certain sens.
Qu’en dit la science politique ? Bien que la science politique s’intéresse à la construction des politiques publiques depuis 1956 et l’ouvrage fondateur de Harold Lasswell, il faut attendre 1970 et le livre An Introduction to the Study of Public Policy de Charles O. Jones pour que soit prise en compte « l’identification du problème », et l’apport potentiel d’acteurs non-étatiques à cette identification. C’est ensuite James Anderson, en 1975, qui fait de la « mise sur agenda » la première étape de la construction des politiques publiques, celle-ci reposant notamment sur un arbitrage des décideurs publics entre différents problèmes que les acteurs non-étatiques (comme… des lobbyistes !) ont pu leur signaler. |
[1] Erik Neveu, « L’approche constructiviste des “problèmes publics”. Un aperçu des travaux anglo-saxons », Études de communication 22, 1999.
[2] Article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
[3] Une liste non exhaustive de ces entrées en communication est donnée dans une annexe du décret n°2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts.
[4] James Anderson, Public Policy-Making, New York, 1975.
[5] Michel Klamen, « Lobbying : de l’histoire au métier », Géoéconomie 72, 2014.