L’audition parlementaire comme « test de survie » politique

Par Nicole Tortello Duban

Une révolution silencieuse secoue la République. Elle ne vient ni de la rue ni des urnes, mais des bancs de l’Assemblée. En un an, neuf commissions d’enquête contre vingt-cinq pour toute la précédente législature. Cette explosion signe la mort d’un monde et la naissance d’un autre, la fin d’un équilibre vieux de soixante ans.

L’entreprise dans l’arène

Vincent Bolloré refusant de comparaître sur la TNT, Pierre-Édouard Stérin fuyant la commission sur les élections, les dirigeants d’Alstom interrogés sur leur cession : l’entreprise devient l’acteur central du débat public. Pas par hasard. Parce qu’elle concentre désormais plus de pouvoir réel que bien des institutions. Plus de pouvoir, donc plus de comptes à rendre.

L’obligation de présentation sous peine de sanction transforme les dirigeants en témoins contraints de leurs propres stratégies. 140 personnes auditionnées pour la seule commission sur les violences scolaires, 87 pour celle sur l’accès aux soins. Ces chiffres dessinent une nouvelle cartographie du pouvoir.

Le travail parlementaire évolue, se professionnalise, s’arme. L’ampleur du phénomène souligne une vérité que le monde économique peine à accepter : son influence s’est accrue, sa responsabilité aussi.

Arsenal redoutable d’une République qui reprend la main

Certains crient au « tribunal médiatique ». Il s’agit en réalité de l’émergence d’une démocratie de contrôle, où le pouvoir économique doit rendre des comptes en temps réel. « Il faut avoir envie de bosser », résume Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête sur le système de santé et l’accès aux soins. Cinq à six auditions par semaine, des mois d’enquête intense : un rythme qui écarte les non-préparés et révèle une nouvelle génération d’élus.

Et ces parlementaires maîtrisent les codes : auditions sous serment, contrôles sur pièces, signalements au procureur… L’exemple de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs illustre par ailleurs une vraie propension à s’adapter. Les députés Arthur Delaporte et Laure Miller n’ont pas hésité à lancer une consultation citoyenne (30 000 réponses récoltées) suivie de l’audition d’influenceurs. Résultat : des échanges tendus, parfois chaotiques, mais puissamment ancrés dans le réel.

Au Sénat, l’affaire McKinsey a également produit des résultats concrets : circulaire du Premier ministre, modification des pratiques, proposition de loi. La commission sur les eaux en bouteille a rendu publics les échanges secrets entre l’Élysée et Nestlé, créant un précédent redoutable. Alexandre Ouizille, rapporteur sur les eaux, prépare déjà la suite. Son projet : créer un « référé-vérité » imposant à quiconque de répondre aux parlementaires, durcir les sanctions pour parjure, revoir l’irresponsabilité présidentielle.

L’émergence de nouveaux risques

Face à cette offensive, les entreprises improvisent. Beaucoup découvrent tardivement les pièges de cette nouvelle donne. Mal choisir l’angle d’attaque, sous-estimer la charge, laisser pourrir les relations entre rapporteur et président : autant d’écueils mortels dans un monde qui ne pardonne plus l’amateurisme.

Seules survivront celles qui comprendront que l’audition n’est pas un interrogatoire mais un exercice de pouvoir.

Pour les dirigeants, il peut s’agir d’un test de survie. Refuser, c’est s’exposer à un suicide médiatique. Négliger, c’est sacrifier sa crédibilité. Accepter sans préparation, c’est tomber dans un piège mortel.

Le nouveau contrat de pouvoir 

Cette transformation redéfinit le capitalisme français : un capitalisme sous contrôle démocratique, où l’influence se conquiert en pleine lumière. Les entreprises qui l’auront compris transformeront cette contrainte en avantage concurrentiel. Elles deviendront les architectes d’un nouveau contrat social, où transparence rime avec légitimité. Les autres découvriront que l’opacité, hier protection, devient vulnérabilité.

Désormais, la capacité à expliquer, convaincre, assumer, s’avère plus stratégique que la capacité à influencer dans l’ombre.

L’Histoire nous enseigne que les pouvoirs qui refusent de se réformer finissent par être réformés de force. Le message est clair : s’adapter ou disparaître !

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AleVia • Cabinet de conseil